Créer un jeu pour la médiation scientifique : l’exemple de Foune et Flore

Dans une conférence, j’ai découvert un nouveau jeu de médiation scientifique original ! Il s’agit de Foune et flore. Le jeu sensibilise à la question du microbiote vaginal : à ce qui peut se trouver dans un vagin. C’est un sujet assez méconnu mais où on se pose souvent des questions. Le jeu apporte donc quelques réponses et permet de lever un peu les tabous. En plus il est fun et original (j’y ai joué et en plus je suis du genre exigeante, donc je confirme le fun et original). J’ai donc interviewé Léa et Jeanne qui ont créé le jeu. Et qui expliquent comment elles ont fait et quelles aides elles ont reçu. De quoi dénicher pas mal de billes pour ceux et celles qui voudraient aussi tenter de créer un jeu sur un sujet scientifique !

créer un jeu pour la médiation

(Marine) Bonjour à toutes et à tous. Dans ce nouveau podcast, j’interview Léa et Jeanne, qui sont les conceptrices d’un jeu de médiation scientifique, appelé Foune et Flore. Foune et Flore c’est un jeu de cartes d’attaque et de défense avec des illustrations super chouettes et qui parle en fait du microbiote vaginal, un sujet qui ne ressort pas vraiment facilement autour d’une table malgré toutes les questions qu’on peut se poser dessus. Et c’est justement pour ça que Léa et Jeanne, spécialistes de la santé et notamment de la santé de la femme, ont souhaité développer ce jeu, pour répondre à certaines questions qu’on peut se poser, notamment les plus jeunes. Dans cette interview, Léa et Jeanne nous expliquent comment elles ont fait pour concevoir leur jeu, les accompagnements dont elles se sont entourées, et nous donnent des conseils d’après leur expérience pour celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans un projet de jeu pour la médiation scientifique.

L’envie de créer un jeu pour parler de microbiote vaginal

(Marine) Bonjour Léa et Jeanne, est-ce que vous pourriez nous dire ce que vous faites dans la vie et comment vous est venue l’idée de créer le jeu Foune et Flore ?

(Léa) Je m’appelle Léa Toulemon, je suis économiste de la santé. J’étais en post-doc à l’époque où on a lancé le jeu. Jeanne et moi on est amies depuis longtemps, depuis une dizaine d’années. On discute souvent de nos sujets d’études respectifs puisque Jeanne est épidémiologiste et moi économiste de la santé donc on travaille toutes les deux autour de questions de la santé mais avec des approches différentes. Et on avait aussi envie de lancer un projet perso à ce moment-là. On était intéressées toutes les deux par les médiations scientifiques et donc a germé l’idée de faire un jeu sur le microbiote vaginal qui était le sujet de thèse de Jeanne. Il y avait une dimension militante dans ta thèse Jeanne je pense, que je te laisserai expliquer. Donc il y avait l’idée que ce serait bien de parler plus de ce sujet et de faire un projet de médiation scientifique un peu drôle qui peut permettre de développer ces sujets-là, notamment auprès d’un public jeune. Et pour la petite histoire on était en fin de soirée assises sur une place, je ne sais pas ce qu’on faisait là on attendait peut-être un bus, au moment où a germé l’idée. Et depuis on s’y est accroché.

(Jeanne) On va revenir peut-être juste après sur comment a germé l’idée et comment elle s’est concrétisée. Juste pour préciser mon parcours. Je suis épidémiologiste en maladies infectieuses, j’ai fait une thèse à l’Institut Pasteur et à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. J’ai choisi un sujet de thèse qui me parlait par rapport à mon vécu personnel, d’avoir eu plein de problèmes gynéco, d’avoir entendu autour de moi pas mal de copines avec des problèmes gynéco. C’est ça aussi peut-être la mini dimension militante du sujet, j’ai vraiment choisi ce sujet parce que c’était important pour moi d’acquérir des connaissances sur la question de la santé gynéco, santé génitale. Mon sujet était vraiment spécialisé sur le microbiote vaginal et les infections sexuellement transmissibles chez les femmes. Tout au long de ma thèse, régulièrement, je partageais ce que moi j’apprenais dans mes travaux avec mes copines. En soirée, autour d’un verre, au restau, peu importe. Et souvent on trouvait avec Jeanne qu’il y avait pas mal d’intérêt autour de ces questions-là, peu de connaissances, des expériences assez variées et pas forcément trop de matériel dans la littérature scientifique qui réponde vraiment aux demandes des femmes. Mais sur mon sujet, j’avais l’impression qu’il y avait un intérêt à connaître mieux ces sujets-là. Donc voilà un peu pour nos backgrounds.

(Léa) Peut-être qu’on devrait parler du blog aussi. Avant de faire ce jeu, on a lancé un blog sur le microbiote vaginal qui s’appelait aussi Foune et Flore où il y avait des articles de vulgarisation scientifique, basés sur des papiers, qui donne des infos utiles pour mieux connaître son corps ou pour répondre à des problématiques.

Le financement du jeu

(Marine) D’accord est-ce que vous avez envie de rajouter quelque chose à propos de comment vous est venue l’idée ?

(Jeanne) Oui en fait ça a mis du temps quand même à germer. Léa elle a plein d’idées tout le temps, beaucoup d’initiatives, beaucoup de créativité. Moi j’étais un peu plus timorée, j’étais plus sur un blog, c’est plus simple c’est plus dans mes cordes. Léa est revenue plusieurs fois à la charge. Doucement mais on en a parlé en soirée, on a fait un weekend avec cette autre copine en Auvergne où à plusieurs reprises on s’est prises à imaginer à quoi pourrait ressembler un jeu sur le microbiote vaginal. Et puis ce qui a vraiment déclenché le truc, c’est qu’en fait dans nos métiers on reçoit souvent des newsletters avec des informations avec différents appels à projets pour tous types de projets, que ce soient de gros projets européens ou des petits projets de médiation scientifique. Et il y a eu un appel à projet de la Diagonale Paris Saclay, c’est la section un peu médiation scientifique ou sciences et société de l’Université Paris Saclay. Un appel à projet qui s’appelle « Appel à projet coup de pouce » en 2018 où ils filaient 5000 euros max pour des petits projets de médiation scientifique, ça pouvait être des jeux, des ateliers artistiques, ce genre de choses. Et en fait Léa m’a envoyé ce truc en mode la deadline c’est dans 4 semaines vas-y on tente un truc, ça nous coûte pas grand-chose c’est 3 pages à remplir. Et on le tente et on voit quoi. On s’est lancées là-dedans. On a tenté de répondre à l’appel à projet un peu à l’arrache. Et évidemment il n’a pas été financé. Mais par contre, parce qu’on a un peu bâclé le truc, c’était vraiment chouette et c’était un truc vraiment cool de la Diagonale Paris Saclay, c’est qu’ils ont apprécié l’idée, ils ont trouvé que c’était original, que ça pouvait répondre à une attente sociétale. Et en fait ils nous ont proposé un rendez-vous pour nous filer des tuyaux sur comment améliorer notre réponse à l’appel à projet pour la prochaine édition qui était neuf mois plus tard. Donc cette personne-là de la Diagonale Paris Saclay qu’on a rencontré nous a coaché sur comment booster notre candidature pour obtenir les 5000 euros. Elle nous a suggéré de vraiment trouver un game designer pour nous accompagner sur les mécanismes de jeu. Elle nous a suggéré aussi pour toute la partie illustration de prendre contact avec une école qui était plus ou moins affiliée à Paris Saclay, voilà il y avait des connexions qui se faisaient, une école de design qui avait notamment une section design pédagogique, enfin illustration pédagogique scientifique. Plein de petits conseils comme ça pour mieux budgéter… elle nous a vraiment bien coachées. Et la deuxième fois, donc neuf mois plus tard, en septembre 2018, on a obtenu le financement cette fois-là. Et entre-temps on avait trouvé un game designer. Léa tu veux expliciter comment ça s’est fait, comment on a connu Aurélien Lefrançois qui nous a accompagnées sur la création du jeu…

(Léa) Oui, peut-être on devrait aussi expliquer pourquoi on avait besoin d’un appel à projet, parce que nous on ne s’est pas financées dessus mais c’était aussi l’idée d’avoir un cadre qui nous lance dans le projet parce que sinon ça peut rester une idée en l’air assez longtemps. Et en fait Aurélien c’est un ami d’amie. Je ne sais plus exactement comment on savait que Florine avait un pote qui s’appelait Aurélien et qui était game designer. Je pense qu’elle nous en avait déjà parlé. Du coup on l’a contacté assez rapidement pour lui demander si ça le tentait de nous accompagner.

L’accompagnement sur le game design

(Marine) Ok et du coup comment s’est passé cet accompagnement entre game designer et votre projet ?

(Léa) De manière assez simple. On s’est rencontrés tous les trois, on a discuté du projet. Donc lui nous a tout de suite dit que ce qui était pas mal dans notre projet, c’est qu’on avait un public cible et un thème assez précis. Il était assez enthousiaste sur le fait que ça puisse aboutir. On avait un mécanisme de jeu en tête qui était relativement simple. Il nous a proposé de le voir. Au début ce qu’il nous avait proposé c’était de le voir je sais plus combien de jours mais un certain nombre de jours, espacés de peut-être deux mois, un mois et demi deux mois, pour faire le point, nous donner des conseils, puisque le budget était assez réduit donc on allait pas le mettre à temps plein sur ce jeu.

(Jeanne) Ce qui était intéressant aussi je trouve c’est que en fait nous on s’était inspirées d’un autre mécanisme de jeu. Le mécanisme est assez proche du « Mille bornes » et on avait l’impression que c’était peut-être pas assez original en tout cas c’était pas hyper nouveau. Mais en fait Aurélien il était assez enthousiaste, et assez rapidement il nous a dit que « c’est vrai que souvent les game designer en vrai on aime bien créer des nouveaux mécanismes et ce genre de choses ». Il est resté assez pragmatique, il nous a dit « en gros vous le but c’est de transmettre un message à un public cible et pour ça il n’y a peut-être pas besoin de faire un nouveau mécanisme de jeu hyper chiadé. Peut-être que vous pouvez vous contenter de quelque chose qui existe déjà mais avec des ajouts, des variantes qui sont sympas ». Et après sur les rendez-vous, comme a dit Léa, ça a duré peut-être un an, un an et demi où on se voyait tous les deux mois. En fait il nous demandait de faire beaucoup de tests. Donc nous on testait avec nos familles, nos amis, nos proches. On prenait des notes de tous les feedbacks qu’on avait. C’était un peu difficile au début parce qu’animer un test c’est compliqué. Pour pas que ça aille dans tous les sens, pour pas se faire détruire le jeu et que ça nous décourage complètement, il fallait un peu canaliser les retours des gens. On prenait des notes, on arrivait aux réunions avec Aurélien. On lui disait un peu tous les feedbacks qu’on avait eus, et lui nous aidait à ajuster. Par exemple en nous disant « là si vous êtes arrivées à une impasse peut-être c’est parce que vous avez trop d’attaque et pas assez de défense ». Ou les résultats finaux quand on comptait les points, il y avait des écarts qui étaient monstrueux et du coup c’était pas très cool car quand tu joue à 5 et que t’as des gens qui ont 2 points et des gens qui ont 10 points c’est pas très cool, donc il trouvait des manières de rééquilibrer tout ça, en mettant des cartes à tant de points et des cartes à tant de points, c’est le genre de conseils qu’il nous donnait. Donc ce genre de conseils un peu d’expériences qu’il avait lui, qui étaient pas mal. Et voilà. C’est un peu ça le genre d’accompagnement. Lui aussi il a un peu testé avec ses collègues, avec des amis à lui. Il nous a aussi recommandé des endroits dans Paris. On pouvait aller dans des espèces de bars à jeu où les gens étaient motivés pour tester des jeux, qui faisaient ça régulièrement et qui appréciaient ça.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :   Créer un jeu - #2 Tester son jeu

(Léa) Oui, il nous a aidées à toutes les étapes. Nous on est arrivées de manière assez naïve. Par exemple on n’avait pas forcément pensé qu’il fallait le tester autant de fois. En fait c’était ça la plus grosse partie du boulot finalement. Et sur le mécanisme de jeu, y’avait des trucs où on avait eu l’idée de manière un peu intuitive et il nous avait dit que « oui là c’était bien parce que ça ajoute du choix ». Donc parfois c’était un peu de formaliser des idées qu’on avait eu. Un des trucs qu’il nous a dit aussi les premières fois où on s’est vues, enfin la première fois, moi y’a deux trucs qui m’ont un peu marquée. Déjà il nous a dit que les jeux pédagogiques c’étaient souvent des genres de Trivial Poursuit et que ça c’était le pire des jeux parce que ça t’apprenait rien par le mécanisme de jeu et que par contre si tu savais pas c’était assez punitif. Et nous en fait dans notre mécanisme, on avait, comme c’est un jeu d’attaque défense, en fait le mécanisme de jeu devait mimer des trucs biologiques, donc à la fois le mécanisme était assez simple et à la fois il faisait sens par rapport à ce qu’on essayait de montrer. Donc c’est vraiment en jouant que ça apporte quelque chose. Donc pareil là c’est une intuition qu’on avait et lui il nous a confirmé que c’était pas mal pour apprendre d’avoir un système un peu comme ça. Et l’autre truc qu’il nous a dit qui nous a plu avec Jeanne c’est qu’il nous a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes dans le milieu des créateurs de jeu de société, alors c’est peut-être différent dans les jeux pédagogiques, ce serait bien d’avoir un exemple de jeu créé par des femmes. Et ça, comme nous on est assez féministes toutes les deux, ça nous a plu aussi. On était emballées après ce rendez-vous. C’était la folie, quelqu’un avait validé notre idée de jeu !

(Jeanne) Et après y’a aussi un truc où il nous a pas mal accompagnées. Quand on a commencé à solliciter les étudiants de l’école Estienne, de l’école de design. Il nous a pas mal aidées à faire l’interface avec eux, parce que eux ils utilisaient des logiciels Photoshop, Indesign et truc où en fait nous on connaissait absolument rien à ces logiciels-là. Lui il connaissait un peu et il nous a aidées à faire une version un peu béta du jeu avec des pictos à la place de vrais dessins. Pour que nous on commence à tester et pour aussi un peu lancer les étudiants. Enfin il est venu faire une présentation dans l’école aux étudiants pour leur expliquer un peu c’était quoi son métier. Lui il a l’habitude d’interagir avec des illustrateurs, d’utiliser un peu leur langage, enfin les logiciels qu’ils utilisaient. Donc il nous a donné un peu les consignes à donner aux étudiants dans la réalisation du projet.

Le choix du crowdfunding

(Marine) Ok et après du coup qu’est-ce qu’il est advenu du jeu une fois que vous avez décidé des mécaniques et que les illustrations ont été choisies, vous avez fait quoi ?

(Léa) On avait encore un petit budget sur l’appel à projet Diagonale pour en commander. Donc on en a commandé des trois illustrations qui nous ont été proposées. Donc ça c’était aussi par rapport aux étudiants qu’ils voient leur jeu fini même si c’était pas forcément l’illustration qu’on allait garder par la suite. Donc là on avait un premier stock de jeu qui était plutôt à destination des associations. Ensuite on a voulu compléter en faisant des pré-commandes, sous la forme d’un crowdfunding. Du coup les personnes payaient pour acheter un jeu. On avait mis un seuil minimal de 200 jeux pour qu’on ait une commande suffisamment grosse pour imprimer. Là-dessus on s’est aussi un peu fait conseiller par Aurélien car c’est lui qui nous a mis en relation avec un imprimeur conseillé pour les boîtes pour que ça ne soit pas trop cher, ce genre de choses…

(Jeanne) Il y a eu aussi une partie de mise en ligne du jeu. On a mis une licence « creative commons » sur le jeu. Ça, Aurélien nous a expliqué en quoi ça consistait, les types de licence qu’on pouvait choisir et après les mettre en ligne sur le blog où on avait fait les articles de médiation scientifique, téléchargeable, pour que les gens puissent y jouer en print and play. Donc les gens ils impriment, ils découpent, ils ont leur propre jeu en version un peu bas de gamme, fait maison on va dire. Mais voilà au moins ça permet aux gens de tester le truc. Même éventuellement avant de le commander en version imprimée plus belle. Donc il y a aussi toute cette partie-là : mise en forme des règles, être sûrs que dans les règles on ne ratait pas des explications clés, il y avait tout un travail là-dessus. Et le crowdfunding qui a pris pas mal de temps. Ça a été repoussé parce que covid. Finalement on l’a fait là en octobre-novembre, moi j’étais pas hyper dispo. Léa elle a vraiment cravaché sur le financement participatif. Et après en décembre les expéditions ça a pris un sacré paquet de temps à faire. Mais ça a vraiment touché des gens qu’on ne connaissait pas. En dehors de notre premier cercle. Ça c’était vraiment chouette. On a pu le faire dans des classes, le tester dans des classes, parce que moi j’ai une sœur qui est proche en banlieue parisienne. Donc nous ça nous a un peu rassurées là-dessus mais le crowdfunding ça nous a permis de commencer à toucher des proches. Des gens même autour de nous qu’on ne pensait pas solliciter, mais qui en fait nous ont dit « dans l’école où je travaille ça peut être vraiment chouette ». Donc voilà ça a commencé, on en est à ce stade-là où ça commence à se diffuser un peu dans les communautés de profs.

Animer le jeu dans des ateliers

(Marine) D’accord et du coup, là, vous avez fini d’envoyer les jeux, vous avez déjà eu des interventions vous pour animer un peu le jeu, faire des interventions dans les écoles ou auprès des différents publics que vous voulez toucher ?

(Léa) On avait proposé dans le crowdfunding une option d’acheter 5 jeux et qu’on allait faire une intervention en milieu scolaire mais ça n’a pas trop marché. Y’a deux personnes qui les ont pris mais c’est des proches à nous qui n’avaient pas compris que c’était pas à leur destination. Mais par contre y’a un directeur d’école qui nous a contactées après et c’est Jeanne qui est allée faire l’intervention donc je te laisse raconter…

(Jeanne) Lui il était partant pour que je vienne dans son collège où il y a trois classes de 4e et il y a toute une partie du programme de SVT en 4e sur la reproduction. Ça s’est extrêmement bien passé. Déjà ils appréciaient vraiment d’avoir quelque chose de différent des cours. Ça a bien relié aussi avec leur cours sur la reproduction parce que j’ai réexpliqué un peu le système reproducteur, les organes génitaux. Donc comme ce qu’ils avaient vu en cours. La manière dont ça s’est déroulé c’était sur 1h50. Pendant 10 minutes j’ai parlé de mon métier. Pendant 10 minutes, on a expliqué les règles à tout le monde. Après on a formé des groupes d‘affinités, pour que les gens soient assez à l’aise. Et regroupé les tables. On a fait 5 tables de jeux différentes. Avec entre 4 et 6 joueurs à chaque fois. Et puis ils ont joué pendant à peu près 1h. On a essayé de garder 20-25 minutes à la fin pour débriefer. Dans le jeu ce qu’on a fait, on l’a pas précisé, mais on a rajouté des cartes supplémentaires où il y a d’un côté une question et de l’autre côté un petit texte de réponse pour aller un peu plus loin. Quand on joue ça lève des questions, ça pose des questions et du coup pour avoir un peu des bases de réponse, on a fait ces questions réponses là. Il y a 10 questions réponses. On appelle ça le petit livret ou les cartes pédagogiques. On peut utiliser pour débriefer en milieu scolaire. Donc on a un peu utilisé ça. Moi en fait au fur et à mesure de la session je tournais autour des tables j’entendais des remarques ou des questions du coup je les notais et à la fin je reprenais en disant j’ai entendu ça, est-ce que d’autres personnes se sont posées les mêmes questions, j’essayais un peu de débriefer. Et puis s’il n’y avait pas eu de questions ou pas trop de remarques, j’utilisais éventuellement les cartes en essayant de ne pas être trop dans la lecture. Je demandais aux élèves est-ce que vous connaissez d’autres IST que celles mentionnées dans le jeu, comment vous en avez entendu parler, voilà on allait un peu dans d’autres questions. Et en fait c’était très surprenant parce qu’ils ont eu beaucoup de questions et y compris des questions qui pour moi dénotaient une assez grande ouverture d’esprit. En tout cas moi j’avais pas l’impression qu’en 4e j’étais si ouverte d’esprit ou que j’avais des questions de ce type. Par exemple j’ai eu des questions où on m’a dit « Madame c’est quoi être transsexuel », c’est quand même super intéressant car ça suppose de rentrer dans des considérations de binarisme ou de genre. C’était assez surprenant qu’ils aient ces questions-là. Il y a eu beaucoup de questions aussi sur par exemple la transmission des IST entre personnes de même sexe. Donc c’est assez encourageant de se dire qu’il y a des tabous qui sont moins forts, j’ai l’impression, dans la génération aujourd’hui que moi à l’époque. Donc beaucoup de questions, beaucoup d’intérêt, et à la fin beaucoup de remerciements.

Les personnes qui ont lu cet article ont aussi lu :   Réaliser un escape game pédagogique : les 3 erreurs à ne pas faire

(Marine) Et est-ce qu’il y a une suite à votre projet, est-ce que vous aimeriez l’éditer ou le rééditer ?

(Léa) Oui mais on n’est pas hyper actives. Je sais pas vraiment quelles sont nos chances de l’éditer donc un autre plan qu’on a et qui est peut-être plus réaliste… enfin en tout cas il y a plus de chances que ça se concrétise c’est de contacter des académies, parce que si on a un intérêt du point de vue de l’éducation nationale et qu’ils veulent nous en commander en fait on peut refaire une commande auprès de l’imprimeur directement. Et nous notre objectif c’est quand même de toucher un public jeune, donc le milieu scolaire c’est pas mal pour toucher le public en général et pas seulement des gens qui se posent des questions. Mais après l’éditer ça serait super aussi. En gros on est un peu opportunistes. Si on voit une opportunité de l’éditer c’est sûr on le fera. Mais par contre faire un crowdfunding je ne suis pas sûre parce que ça a pris beaucoup de temps entre l’animation de la campagne et ensuite les envois aussi. Pourquoi pas mais faudrait qu’on ait le temps toutes les deux à un moment.

Pourquoi utiliser le jeu pour faire de la médiation scientifique ?

(Marine) J’aurais, allez, j’ai deux petites questions à vous poser. Pour vous c’est quoi en fait selon l’expérience que vous avez eue, c’est quoi du coup l’intérêt de faire un jeu pour la médiation scientifique ?

(Léa) Nous du coup dans l’expérience qu’on a eue dans les classes, les élèves ils y rentrent dedans en deux secondes. Quand on leur dit qu’il y a des attaques et des défenses, qu’ils vont pouvoir donner des chlamydias à leurs copains, tout de suite ça les fait rigoler. Du coup ça permet vraiment d’ouvrir un espace assez sympa où ils sont détendus. Ils se sont un peu amusés, en même temps ils ont vu des mots qu’ils ne connaissaient pas. Pour moi c’est un peu de les plonger dans un sujet. Et ça permet aussi de cadrer un déroulé. Nous on a fait un déroulé d’atelier aussi à proposer, où on parle un peu du sujet. Ensuite on fait le jeu et ensuite on fait le livret pédagogique. Et ça permet d’être plus divertissant que juste une intervention qui ressemble à une conférence.

(Jeanne) Ouais ça peut être aussi une entrée dans le sujet. Peut-être que le jeu en soi va pas couvrir tous les aspects mais du coup nous on le fait par exemple quand on a rajouté le livret pédagogique au jeu. Et qu’on a prévu dans le déroulé une phase de débriefing avec les élèves, ça permet d’aller un peu plus loin que juste le jeu. Par exemple dans le jeu il n’y a que deux IST qui sont mentionnées : chlamydia et herpès. Evidemment qu’il n’y en a pas que deux… Enfin ça peut être une manière d’aborder un sujet, d’avoir une porte d’entrée qui soit un peu simple et après il faut trouver un moyen de rediriger vers une source d’informations plus complète. Disons que ça peut être un premier cas. On a diffusé par exemple le site Internet où les élèves pouvaient télécharger le jeu s’ils en avaient envie. En fait sur ce site Internet il y a aussi des articles de médiation scientifique qu’ils peuvent lire come ça, sans que personne sache qu’ils sont allés les lire. Après eux ils peuvent aussi faire ce travail d’information, et aller chercher des infos qu’ils n’oseraient pas demander en classe parce qu’il y a encore un petit tabou ou juste une lassitude, parce qu’au bout de deux heures sur le même sujet on a envie de passer à autre chose. Donc ça peut être une chouette porte d’entrée.

(Léa) Et au niveau du public plus général que nos amis ou nos familles, à chaque fois ça soulevait des questions qui ne seraient pas venues dans une conversation en fait. On voit que y’a des personnes qui savent pas des trucs super basiques, que une femme ménopausée elle a plus ses règles, ce genre de choses, et des sujets un peu plus précis aussi, parce que le jeu rentre quand même un peu dans les détails. Et je sais pour toi Jeanne mais moi j’ai l’impression que ça a été systématique à chaque fois les personnes elles ont appris un truc quel que soit leur âge ou ce qu’elles connaissaient déjà avant.

(Jeanne) Y’a un truc, sur ce sujet-là, très sympa en classe avec les tables où y’a que des garçons. Parce que dans le jeu on a un vagin, il faut avoir la flore vaginale la plus protectrice possible et d’entendre les garçons être dans cette expérience subjective de je suis une femme j’ai un vagin faut que j’en prenne soin, voilà ça les oblige à se mettre à la place des femmes et à être dans cette démarche de « je prends soin de mon corps », qui est un truc qui n’est pas hyper valorisé chez les hommes. Le fait d’avoir joué à ce jeu-là, ça les a vraiment mis dans cette posture et j’ai l’impression qu’il y avait ce désir-là d’être attentif à ce qu’il se passe dans le corps de l’autre donc c’était chouette.

(Léa) Et on souhaite intervenir chez des personnes assez jeunes du coup, peut-être avant leur vie sexuelle ou peut-être au début parce qu’on voudrait que la première fois qu’ils aient une IST ou une mycose, ce soit pas « aaaah qu’est-ce qu’il se passe j’ai des champignons dans le vagin ». Ou à l’inverse quand on leur en parle, si une copine, que ce soit pour une fille ou un mec, j’ai une mycose, faut pas dire « aaa c’est dégueu », enfin qu’ils aient entendu le mot au moins une fois même s’ils ont oublié tout le jeu, je pense que c’est déjà quelque chose, « ah ! ça existe j’ai déjà entendu parler de ce truc, je crois qu’il y avait une défense je sais plus ce que c’est ».

Les conseils de Léa et Jeanne pour ceux qui voudraient créer un jeu pour la médiation scientifique

(Marine) Ok je vais poser ma dernière question au cas où vous avez des choses à rajouter. Qu’est-ce que vous donneriez comme conseils à des gens qui voudraient créer un jeu pour la médiation, des choses qu’il faut soit surtout pas faire ou des choses qui au contraire vont trop bien les aider. Est-ce que vous auriez des trucs, des tuyaux à donner ?

(Jeanne) Oui, être accompagné par un game designer. Ça change vraiment le truc. Tu passes d’un truc d’amateur à un truc vraiment pro et où tu vas vraiment pouvoir toucher les gens. Après le deuxième conseil c’est vraiment bien définir le public cible. Comme je disais tout à l’heure, les volumes de personnes que ça représente et du coup adapter un peu la stratégie à ça. Et pas forcément s’éparpiller à se dire « moi je suis fan de mon jeu, j’ai forcément envie que ça touche toute la planète », en vrai ça va pas se passer. Donc vraiment être au clair sur qui sont les publics cibles, après il peut y avoir des débordements et d’autres personnes intéressées, mais bien définir ça. Et c’est un truc qui va durer deux ans, voire plus, c’est vrai que nous on n’avait pas forcément pensé à ça, et ça va on a de l’énergie, on est copines, que ça nous fait plaisir, mais c’est quand même un gros travail. Donc faut tenir la distance. Et surtout ménager ses potes parce que c’est eux qui vont tester le jeu 15, 20 fois et voilà faut avoir un gros réseau autour de soi de personnes hyper volontaires pour nous aider bénévolement à tester le jeu, à l’améliorer. Et voilà nous on a eu beaucoup de chance là-dessus.

(Léa) Moi ce que je peux ajouter là-dessus c’est je pense pour un jeu de médiation scientifique, faut vraiment que ce soit simple. On ne veut pas passer trois quarts d’heure à expliquer les règles. Parce que c’est pas comme des jeux de stratégie, on va pas y jouer tous les samedis soirs. Il y a plein de gens qui vont y jouer uniquement une fois, ils n’ont pas envie de passer plus de temps à comprendre les règles plutôt qu’à jouer. Et même nous, en faisant un jeu qu’on trouvait assez simple, c’est quand même long et chiant d’expliquer les règles. Donc c’est jamais trop simple. Vraiment garder ça en tête. Peut-être se lancer assez tôt avec une version béta du jeu, donc fabriquer avec ses petites mains… Aurélien il nous a dit qu’il y a aussi des poches en plastique, je crois que c’est pour les cartes Magic, où on peut mettre des cartes en papier pour que ça glisse et qu’on puisse jouer assez facilement assez tôt. Parce que en fait on peut théoriser le mécanisme de jeu mais c’est vraiment en le testant qu’on va pouvoir l’améliorer, voir ce qui marche et ce qui ne marche pas.

(Marine) C’est des supers conseils merci à vous Léa et Jeanne, c’est chouette. Moi j’espère que de la réussite dans la suite de votre projet et j’espère qu’on va pouvoir savoir aussi comment ça continue d’évoluer et si vous en avez d’autres aussi dans le même genre plus tard. D’ailleurs à ce propos vous en avez d’autres des projets de médiation scientifique ?

(Jeanne) Oui ! On va un peu rester sur les mêmes sujets, peut-être aller plus loin, expérimenter d’autres formes de médiation scientifique. On a créé une association un peu spécifiquement pour être le support de ces projets de médiation scientifique. Une association toute jeune qui s’appelle Agnodice, dans laquelle on est juste quatre copines pour l’instant. Et puis on a un peu profité du financement participatif pour proposer un autre type d’atelier, qu’on est en train de mettre en place. On espère que ça va aboutir prochainement malgré les contraintes confinement. Ce sont des ateliers d’auto-observation de son microbiote vaginal sous un microscope. Ça c’est un exemple de projet. On en a d’autres, embryonnaires.

(Léa) On a lancé un groupe de parole aussi sur l’IVG. Qui est pour nous un autre moyen d’échanger de la connaissance, de manière un peu horizontale, où là c’est en petit groupe. C’est notre groupe de parole béta, donc plutôt avec des gens qu’on connait. On est 6 dedans. Donc on espère lancer peut-être d’autres groupes de paroles sur d’autres thèmes, toujours liés à la santé des femmes, toujours dans une perspective féministe puisque c’est l’objectif de l’association.

(Marine) Ça marche. En tout cas merci beaucoup à vous c’était vraiment super intéressant. J’ai hâte de savoir la suite aussi.

(Jeanne et Léa) A bientôt

Léa Toulemon, leatoulemon@gmail.com, @lea_toulemon (Twitter)

Jeanne Tamarelle : jeanne.tamarelle@gmail.com

Le blog du jeu – FacebookL’association Agnodice sur Instagram

Partager l'article :

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :