Il y a quelques temps j’avais déjà rédigé un article pour donner des exemples d’activités simples à proposer à des enfants quand on souhaite faire de la ludopédagogie (de l’apprentissage par le jeu), ou autrement dit pour mettre en place des apprentissages ludiques. Je profite d’un nouvel événement entre blogueurs sur le même thème pour aller un peu plus loin.
En effet, des exemples de jeux rapides à mettre en place, c’est souvent ce que les gens cherchent. Et vous en trouverez partout, sur Internet ou dans les livres (ou même dans ce blog évidemment). Mais parfois c’est un peu fouillis d’ailleurs. Y’a trop de trucs on ne sait plus quoi choisir ou quoi faire. Mais si vous cherchez à aller plus loin, à bien sélectionner vos jeux, et à ce que ce les apprentissages ludiques soient plus efficaces tout en restant dans de la pratique concrète (et pas du blabla), alors cet article va vous plaire.
Ci-dessous je vous présente 5 points à vérifier avant de faire un jeu avec vos enfants qui comporte des apprentissages. En gros, si tu colles une cocotte en papier avec des dates d’histoire sous le nez d’un gamin, c’est pas encore dit que parce qu’il y a « cocotte » il y a jeu, et encore moins sûr que le gamin s’amuse. Avec ces 5 points à vérifier que je vous présente, que j’ai expérimentés, validés au fil des expériences (pauvres cobayes que sont les enfants dont je me suis occupée ^^), vous serez peut-être un peu plus sûr qu’ils s’amusent vraiment les loulous.
La petite mise au point relou mais nécessaire : la petite ambivalence du jeu à propos des apprentissages
Je vais pas l’expliquer en long et en large parce que c’est pas vraiment le sujet de l’article. Même si c’est lié (oui, on avait dit pas de blabla !). Mais je passe un peu dessus quand même pour que les points à vérifier soient plus clairs.
Je pense que tout le monde est à peu près d’accord pour dire que le jeu est un apprentissage et permet des apprentissages. On apprend à jouer (oui il y a des enfants qui ne savent pas jouer, ça existe mais c’est un autre sujet). Et puis on apprend en jouant : on apprend à respecter un cadre, des règles. On apprend l’observation, la mémoire, etc. etc. Je ne vais pas faire la liste, ça dépend des jeux.
Mais quand on cherche à mobiliser le jeu pour faire apprendre quelque chose de spécifique, c’est là que ça devient plus complexe. On a un objectif pédagogique et on se dit chouette je vais faire un jeu comme ça ce sera plus fun à apprendre. La fameuse ludopédagogie. Et bien c’est dans ce cas-là que mes 5 petits points vont vous être utiles (j’espère… vous me direz ^^).
En gros, pour qu’il y ait jeu et que ça reste fun, il y a quelques caractéristiques à rassembler. (Selon mon ancien directeur de mémoire, et spécialiste de la théorie du jeu, Monsieur Gilles Brougère). Dont certaines d’entre elles sont assez difficiles à mettre en place d’après moi dès qu’il y a un objectif pédagogique : la décision, l’incertitude et la frivolité.
Ci-dessous, quelques points pour vérifier que ces critères du jeu sont respectés pour vos apprentissages ludiques. Et puis d’autres critères en plus par rapport à mon expérience pratique.
Astuce 1 : Apprentissages ludiques, il faut l’avoir décidé pour que ça reste un jeu
Quand on joue on s’amuse, mais pourquoi au fond ? Et bien parce que ce qu’on fait nous fait plaisir. On a envie de jouer donc on se met à jouer. Si je joue, c’est parce que je l’ai décidé. Si c’est quelqu’un qui m’oblige à jouer à son jeu, je ne prendrais pas de plaisir. Pour cette personne ce sera peut-être un jeu mais pas pour moi. Son jeu deviendra le mien quand je l’aurais décidé.
Pour que l’activité proposée soit jeu, il faut qu’elle ait été décidée comme telle par celui qui y prend part. Si vous proposez une activité ludique à un enfant, elle ne sera ludique que lorsqu’il l’aura décidé. C’est pour cela que les trois points suivants sont importants :
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Si vous pensez que votre activité est un jeu mais que votre enfant trouve que ce n’en est pas un, alors ce n’est pas grave. Ne l’obligez pas à le penser.
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Lorsque vous proposez une activité ludique avec pour objectif des apprentissages, il vaut mieux la présenter comme étant une activité pédagogique d’abord. (Et éventuellement préciser que vous pensez qu’elle peut être sympa, sous forme de jeu, ensuite). Si elle est ensuite perçue comme un jeu, alors tant mieux.
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Si vous voulez vraiment présenter une activité comme étant un jeu, alors vérifiez que l’objectif de l’activité est de jouer, avant d’apprendre
Astuce 2 : Jouer, c’est faire des choix
Une autre part de décision importante dans un jeu, à part le fait d’avoir décidé de jouer, c’est de prendre des décisions. Dans le jeu en lui-même cette fois. Quand je joue, j’aime avoir à faire des choix, qui ne vont pas m’emmener au même endroit. Je prends alors plaisir à découvrir où mes choix m’emmènent. Et parfois à les rectifier quand ils ne me plaisent finalement pas.
Lorsque vous proposez une activité ludique à un enfant, vous pouvez vérifier si cette activité comporte une certaine dose de choix ou pas du tout. Un choix ça peut être beaucoup de choses, en voici une petite liste :
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Choisir de proposer une réponse plutôt qu’une autre (un quizz est un jeu car il donne la possibilité de répondre ce que l’on veut)
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Avoir plusieurs cartes en main et choisir celle qui sera jouée
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Décider de la prochaine étape, du prochain lieu où aller
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Avoir plusieurs énigmes et choisir la prochaine à résoudre
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Décider des alliances, des interactions avec les autres joueurs
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Etc.
Existe-t-il des jeux sans choix finalement ?
Est-ce que ça veut dire que finalement toute activité comporte des choix à faire ? Pas toujours. Je prends un exemple bien connu de tous, le Monopoly. Au Monopoly, tout se joue au moment où l’on choisit d’acheter ou non le terrain sur lequel notre pion atterrit. C’est parce que j’ai fait un choix particulier qu’ensuite je vais gagner ou perdre de l’argent. Dès que tous les terrains ont été achetés, le jeu commence bien souvent à s’essouffler. On a hâte que le jeu se termine et pourquoi ? Parce que les dés ont déjà été jetés depuis longtemps. On sait qui va perdre et qui va gagner. A la fin il n’y a plus de choix à faire, le jeu est donc bloqué, on subit juste les conséquences et on s’amuse moins.
Vous pouvez donc vérifier la « dose » de choix que comporte l’activité proposée. S’il y en a trop ce n’est pas forcément agréable non plus, car on va vite se perdre.
Astuce 3 : Jouer c’est aussi avoir la possibilité de perdre
J’ai dit juste au-dessus que dès qu’on sait qui va gagner ou perdre alors ce n’est plus amusant de jouer. La part de surprise joue donc un rôle important aussi. Si j’ai le choix entre deux décisions dont je connais l’issue du jeu pour les deux, alors ce n’est plus aussi amusant. Le quizz est un exemple facile à comprendre car il montre bien ce curseur entre une décision dont l’issue est connue ou inconnue.
Deux quizz bien différents…
Imaginez que vous répondez à des questions sur votre vie personnelle comme ça peut être le cas dans un formulaire administratif (monsieur, madame, célibataire, marié, etc.), est-ce que vous le prenez comme un jeu ? J’espère pour vous que non. Pourtant c’est un quizz : des réponses où vous devez répondre. Mais l’issue est connue car il s’agit d’une formalité administrative qui va vous permettre d’obtenir X ou Y chose que vous avez prévue. Ce n’est pas un jeu.
Imaginez maintenant que vous êtes sur le plateau de Qui veut gagner des millions. Là si vous vous trompez, vous perdez tout. Mais si vous répondez juste, alors vous continuez à jouer (et gagner des euros en plus… potentiellement… PS : ne faites pas ça avec les enfants). Le jeu est bien présent parce que vous n’êtes pas sûr de la fin, vous n’êtes pas sûr que vous allez gagner. Vous pouvez perdre et le défi est là. Le fun est là. Si vous saviez d’avance que vous alliez gagner peu importe votre réponse, vous ne seriez pas dans le jeu. Il n’y aurait plus d’intérêt à transpirer, à demander l’avis du public…
Les issues de jeux doivent rester inconnues jusqu’à la fin
Si vous choisissez une activité ludique avec un objectif pédagogique avec votre enfant, vous pouvez déjà vérifier si le jeu permet de perdre. C’est un minimum. Et encore mieux, un jeu où on ne sait pas qui va perdre ou gagner parmi les joueurs en avance. Ou si c’est un jeu à points, ne pas deviner en avance combien chacun des joueurs va faire de points. Evitez dans ce sens les quizz tout bêtes où si tu réponds juste, tu as 1 point, si tu réponds faux, tu as 0 points. Car l’issue sera devinée par le joueur en fonction du niveau qu’il se donne. Si vous aimez les questions-réponses, préférez quelque chose qui se joue en équipes, c’est plus amusant car impossible de deviner quelle équipe va gagner.
Astuce 4 : Même s’il y a apprentissages, un jeu doit rester sans conséquences
C’est souvent le plus dur à mettre en pratique. Car s’il y a apprentissage il y a forcément conséquences me direz-vous. Mais c’est pourtant bien une caractéristique essentielle du jeu : celui-ci doit rester frivole. C’est parce qu’on est dans un cadre sans conséquences qu’on se sent libre de faire ce que l’on veut dans un jeu. De faire des choix, des tests, d’imaginer, et donc de jouer. Même s’il y a des règles à respecter, on se sent libre d’expérimenter. C’est un cadre qui doit donc être bienveillant, sans jugement, et surtout sans conséquence dans le « retour à la vie réelle ».
Attention aux récompenses !
En choisissant une activité ludique, la première chose à regarder c’est donc de voir si elle comporte une récompense en dehors du jeu qui peut sortir du frivole. Gagner des bonbons ça reste frivole, surtout si ça fait partie du jeu (le trésor de la chasse au trésor par exemple). Mais avoir une note dans un cahier n’est pas frivole car c’est une conséquence qui reste après le jeu, dans « la vie réelle ».
Favoriser sans obliger
Certaines conséquences ne peuvent être bannies. Gagner en dextérité parce qu’on a joué à un jeu d’adresse c’est tout à fait normal. Et c’est d’ailleurs un apprentissage. Mais cette conséquence n’a pas été décidé en amont. Elle s’est faite en fonction du jeu, en fonction du joueur. Dans cette même optique, vous voyez qu’il suffit de choisir des jeux qui favorisent une compétence pour espérer avoir un apprentissage (un jeu d’observation pour favoriser la mémoire, un jeu sur une thématique historique pour aborder une période particulière). Mais par contre vous ne pouvez pas décider de la quantité d’apprentissages, ou de la forme qu’ils prendront. Vous ne pouvez que favoriser.
Pour aller plus loin, cela veut dire que dans une activité ludique à objectif pédagogique, le mieux ce sont encore celles qui favorisent mais qui n’obligent pas. Si vous trouvez une activité où « quand t’as bon tu continues de jouer » franchement laissez tomber. Ce sera une activité pédagogique mais ce ne sera pas un jeu. Evitez dans le même genre les activités pressenties comme pédagogiques : « votre enfant apprendra la géographie tout en s’amusant ! ». Quelle mauvaise pub… Il y a tellement de jeux qui abordent effectivement la géographie, les cartes, des notions sur les pays, sur les différentes cultures… sans pour autant être des cours de géographie en questions-réponses ! Plutôt que la pub ou le résumé, regardez au fond ce que le jeu favorise : le contenu, la thématique… Si elle correspond à ce que vous cherchez, bingo !
Astuce 5 : Jouer… BEAUCOUP jouer… et sans apprentissages
Vous êtes maintenant prêts à sélectionner vos jeux à objectifs pédagogiques, à les proposer avec bienveillance et à faire en sorte qu’ils fonctionnent. Mais s’il y avait un ou deux conseils en plus à donner, les voici : jouez… et beaucoup.
Ce n’est pas toujours évident car on manque souvent de temps mais pourtant c’est essentiel. Si on veut mettre en place des jeux pour des apprentissages, il faut déjà avoir une bonne idée de ce qu’est un jeu. C’est un conseil pour vous, mais aussi pour vos enfants. Il faut donc beaucoup jouer, à des tas de jeux différents, et surtout la plupart du temps sans objectifs pédagogiques. Et ce, ensemble, avec vos enfants. C’est important pour installer un climat ludique, une routine. Qui sera d’autant plus appréciée lors des temps pédagogiques.
Prendre le temps… d’écouter !
Prendre le temps et jouer ensemble c’est aussi permettre à l’enfant de s’exprimer et à vous de vous poser pour écouter et entendre ses besoins ludiques. Tous les jeux ne se valent pas aux yeux d’une personne. Chacun a ses goûts, c’est comme pour tout. C’est pareil pour les jeux. C’est là que vous verrez peut-être qu’on vous a vendu les bienfaits des jeux coopératifs (on en entend tellement parler, la très grande mode dans tout ce qui est éducatif) mais que votre enfant ne jure que par le compétitif. Ce n’est pas une mauvaise chose. Compétitif ce sera alors, parce qu’il sera plus réceptif. C’est son style de jeu.
De même il préfère les jeux vidéo d’action et d’aventure et vous voulez lui proposer un jeu sur plateau… c’est possible mais alors voyez plutôt du côté des jeux de plateau où il y a des personnages, une histoire, un scénario… C’est en passant du temps à jouer ensemble que vous décrypterez toutes ces préférences et que vous serez plus sélectifs sur vos choix.
Pour récapituler : 5 points à vérifier pour mettre en place des apprentissages ludiques
Vous souhaitez mettre en place des apprentissages par le jeu, des activités ludiques avec des objectifs pédagogiques. Et vous voulez faire les bons choix et réussir à proposer un cadre bienveillant à votre enfant. Voici les 5 points à vérifier avant de proposer votre activité :
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Décision : N’obligez pas votre enfant à penser que c’est un jeu, et vérifiez que l’objectif principal est le jeu et non l’apprentissage
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Choix : Vérifiez que le jeu propose suffisamment de choix, de décisions à prendre
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Incertitude : Votre jeu doit permettre de perdre et ne doit pas laisser deviner en avance de son issue
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Frivolité : Ne prenez jamais un jeu avec des récompenses qui auront un impact après le jeu et préférez des jeux qui favorisent les thématiques voulues sans se vanter d’être pédagogiques
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Ecoute : Prenez du temps pour jouer avec vos enfants, connaître leurs préférences de jeux et les mettre ensuite en confiance en sélectionnant les jeux à objectifs pédagogiques qui leur plairont
N’oubliez pas : un petit mot en commentaire pour partager votre expérience à vous et vos retours !
Remerciements et bonus
Je remercie Sophie du blog Les coffres magiques pour m’avoir donné l’occasion, à travers son événement interblogueur sur le thème des apprentissages ludiques, de réaborder ce vaste sujet. J’espère que vous y aurez pioché quelques idées intéressantes, que ça vous aura donné envie d’être plus sélectifs aussi sur vos choix de jeux. Et puis que ça vous aura donné goût encore plus au jeu bien sûr !
En petit bonus, l’article que je préfère sur le site de Sophie est totalement en lien avec ce que je viens d’évoquer : un exemple de jeu, inspiré du jeu du bingo, pour apprendre les maths. Voilà donc un exemple qui montre qu’en prenant un jeu qui aborde de base une certaine thématique (au bingo ce sont donc les chiffres), on peut, en le détournant légèrement, à la fois favoriser un type d’apprentissages et rester dans un jeu amusant.
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