Je me suis dit que ce serait une chouette idée de partager avec vous des conseils sur la réalisation d’un escape game pédagogique. Dans cet article je vous en donne 3 sur les questions à se poser avant, la gamification et le rôle du game master. Ce sont des conseils inspirés de mon expérience et d’une rencontre professionnelle sur le thème des escape game pédagogiques à laquelle j’ai assistée il y a quelques jours, organisée par Universcience, l’école de la médiation et Science animation.
Et ce qui est encore plus chouette, c’est que ces conseils s’appliquent à n’importe quel type d’escape game du moment qu’il soit pédagogique. Alors du coup ce sont des bons conseils pour tout le monde, que vous soyez un papa ou une maman qui veut organiser un mini escape game à la maison pour les apprentissages scolaires ou encore un médiateur culturel de musée qui veut mettre en place un escape game pour les publics.
Mais d’abord un petit rappel…
Qu’est-ce qu’on entend par escape game pédagogique ?
Ce sont des jeux d’évasion qui ont un but éducatif. Oula et concrètement ça donne quoi ? Et bien ça peut être mis en place par un professeur pour ses élèves, par une institution culturelle pour ses visiteurs, ou encore par une entreprise pour former son personnel, etc.
Pour reprendre les termes d’Astrid Moreau qui a travaillé sur le sujet : « Un escape game pédagogique est donc un jeu, dans lequel une équipe de joueurs est plongée dans un scénario impliquant une évasion ou la délivrance d’un objet, comme par exemple un coffre à ouvrir. […] Le groupe doit pour cela résoudre des énigmes en un temps limité – le temps de jeu – répondant à des objectifs pédagogiques : cohésion, découverte ou mise en œuvre de compétences et/ou connaissances. ». Voilà je n’aurais pas pu mieux expliquer !
Et maintenant, place au bilan de cette journée ! Les fameux conseils…
1/ Ne pas se poser les bonnes questions : mais en fait pourquoi faire un escape game pédagogique ?
Une offre attrayante
Je vois beaucoup d’exemples, notamment dans les institutions culturelles, où les équipes veulent mettre en place une nouvelle offre pour leurs visiteurs qui ait un lien avec le contenu de l’institution et qui soit à la fois attrayant. Souvent on se dit bon allez j’aimerais parler de telle chose et qu’est-ce qui est à la mode en ce moment ? Les escape game… Alors bim on va faire un escape game pédagogique.
Oui mais…
Je suis allée écouter une conférence il n’y a pas si longtemps sur le sujet justement des escape game dans les musées. Une conférence donnée par un professionnel des escape game. Et lui il racontait quoi ? Que la culture et les escape game, ce n’était pas tout à fait la même chose. D’un côté on a la culture, en fait les institutions culturelles, qui cherchent à développer leur thème, leurs contenus et à le rendre accessible à tous. Et puis de l’autre on a les salles d’escape game, qui sont des entreprises privées avec pour but le chiffre d’affaires… et oui il faut bien que ça marche. Donc en fait les escape game au départ c’est un concept, certes tout à fait attrayant et ludique, mais qui a été conçu et adapté pour un système de vente et de marketing.
Alors est-ce que ça veut dire que c’est incompatible ? Non. (ouf)
Mais il va falloir se poser les bonnes questions c’est sûr. Parce que si le format (escape game) ne colle pas avec les objectifs pédagogiques, on est mal … très très mal… Alors oui c’est sûr ça attire le public, mais l’expérience de jeu, et du coup l’expérience pédagogique aussi, ne seront pas à la hauteur des espérances.
Il faut absolument que l’escape game soit vu comme un outil. Donc d’abord on cherche quels sont les objectifs que l’on souhaite pour ce nouveau dispositif (ça peut être des objectifs comme faire découvrir un lieu, permettre l’acquisition de savoirs, favoriser la cohésion d’un groupe, etc.) et ensuite on cherche l’outil le plus adapté. Est-ce que l’escape game dans sa dimension d’escape game (contrainte de temps, fouille, résolution d’énigmes) sera-t-il alors le plus adapté ?
Si oui, alors bravo ! Car ce n’est décidément pas un format facile pour des fins pédagogiques.
Le meilleur conseil
Si non, alors voici le meilleur conseil qui est ressorti de cette journée professionnelle : accepter que le dispositif qu’on réalise ne soit finalement pas un escape game. Car voilà ce qui arrive souvent : on ne se rend pas compte que le format escape game n’est pas tout à fait adapté. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On le réalise quand même bien sûr, et au final, à force de vouloir répondre aux objectifs pédagogiques, on réalise un jeu qui n’est plus tout à fait un escape game. Et bien la bonne nouvelle c’est que ce n’est absolument pas grave tant que les objectifs sont bien pensés et atteints au final !
2/ Gamifier à tout-va
Oups, une petite notion dont je fais le point vite fait.
Gamifier c’est quoi ?
Gamifier c’est appliquer des mécanismes du jeu là où il n’y en a habituellement pas.
Le site elgamificator.com propose une définition qui pour ma part, est assez claire. « La gamification consiste à transposer les mécaniques du jeu dans un domaine non-ludique, pour résoudre des problèmes de la vie réelle. […] Elle vise alors à rendre plus ludique des activités qui ne sont pas considérées comme des jeux. »
Du coup…
Gamifier, ça sert à quoi dans un escape game pédagogique ?
L’intérêt de la gamification c’est de trouver des subterfuges qui soient ludiques pour que la « chose à apprendre » soit plus intéressante. Voilà c’est facile. Ainsi celui qui est face à l’apprentissage est plus motivé car le processus de ludification l’attire.
Mais attention ce processus pose en fait un véritable problème. Car le jeu détourne. Le joueur est absorbé par le jeu. Du coup si les mécanismes ludiques n’ont rien à voir avec les apprentissages poursuivis alors c’est un échec et mat. Le joueur ne s’intéressera pas à la matière à apprendre, mais uniquement à ce qui lui permet de jouer. Il faut donc absolument corréler la gamification avec les objectifs pédagogiques poursuivis.
Comment gamifier sans perdre de vue les objectifs pédagogiques ?
Ce n’est clairement pas facile mais ça se fait bien quand même.
Ne pas perdre de vue ses objectifs
On en revient toujours au même finalement. Les objectifs pédagogiques, il faut les garder en tête. Et pour bien montrer de quoi je blablate là je vais prendre un exemple. Mettons que je souhaite réaliser un escape game pédagogique sur le thème de la conquête spatiale. Alors voilà j’ai défini en priorité mes objectifs pédagogiques. Au pif (dans l’article j’invente, dans la vraie vie faut éviter les au pif je pense que c’est mieux) :
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Découvrir à quoi ressemble l’intérieur d’une fusée et les différentes composantes nécessaires à la survie humaine et au contrôle de l’appareil
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Se confronter à la problématique de la vie permanente à l’extérieur de notre planète Terre (en bref comment aller vivre sur Mars sans que ça soit vraiment un problème)
Bon clairement, moi ce que je vois là c’est que ces deux objectifs sont totalement en accord avec un scénario d’escape game.
Oui on peut mettre les joueurs dans une fusée, et les faire interagir à des moments avec des éléments de cette fusée où ils vont devoir apprendre comment ça fonctionne et à quoi ça sert pour prendre les bonnes décisions. Ça, c’est clair ça marche d’enfer (avis à ceux qui souhaitent monter une salle d’escape game et qui sont à la recherche d’un projet, je suis carrément en train d’en lâcher un).
Oui on peut mettre des joueurs dans un scénario sur Mars (bonjour le décor) et leur donner des situations où ils vont devoir s’en sortir pour survivre. Et donc apprendre comment il faudrait survivre si on devait aller vivre sur Mars.
Mais si on perd ses objectifs de vue alors il y a un risque que lorsque le jeu soit fini, les joueurs n’apprennent pas grand-chose ni sur l’intérieur d’une fusée et ses fonctions, ni sur les modalités nécessaires à la survie sur une autre planète.
Ne pas trop en rajouter
Au début je parlais de gamifier à bon escient. Alors ça veut dire gamifier les bons apprentissages mais aussi ne pas trop en rajouter.
Si je suis sur Mars et que je décide de faire un décor de navette spatiale, pas besoin de rajouter des posters sur l’écologie, même si je trouve que l’écologie c’est super génial et que tout le monde devrait s’y intéresser.
Il vaut mieux s’en tenir à ce que je souhaite que les joueurs abordent. Et ne pas créer trop de biais qui vont les détourner des apprentissages principaux que je souhaite leur offrir.
Également, je ne veux pas trop donner d’objectifs pédagogiques à mon jeu, sinon je n’arriverais jamais à tout aborder. Je rappelle qu’un escape game dure en moyenne 1h donc aborder l’écologie sur Mars, à moins d’en faire un sujet complet pour un autre jeu, je vais m’en tenir à la navette spatiale et aux modalité nécessaire à la survie sur une autre planète.
La grosse erreur à ne pas faire : perdre un de ses objectifs dans la construction de son escape game pédagogique
Mais voilà que je rajoute un objectif pédagogique à mon thème de la conquête spatiale :
– Reconnaître les principales avancées scientifiques en matière de convois humains, animaux ou robotiques dans l’espace extra-terrien
Pour les deux premiers objectifs, je n’avais pas trop de problèmes, mais par contre pour apprendre des notions historiques ou des théories c’est extrêmement compliqué de les adapter dans ce genre de dispositif ludique. Pourquoi ? Parce qu’il faut que tout le principe de gamification, donc dans un escape game le scénario, le décor et les mécanismes d’énigmes, soient en corrélation avec l’apprentissage de ces notions. Le scénario ok, le décor ok, mais les énigmes…
Du coup c’est clair que si je commence à construire mon escape game, il va y avoir un moment où je vais un peu bloquer. Et alors là j’ai le choix entre deux solutions :
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J’oublie le dispositif de l’escape game, mais alors là c’est rare je dis bravo, en général on n’aime pas trop abandonner un tel attrait
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J’oublie l’objectif : alors là gros bouh pour moi parce que dans ce cas oui j’ai un escape game, auto-félicitations, mais en revanche les joueurs n’apprendront pas les notions historiques que je voulais qu’ils abordent… Dommage…
Ce qui m’amène à un dernier point sur la gamification…
Tout le mécanisme du jeu doit être tourné vers les objectifs d’apprentissage
Ça semble redondant mais je vais donner là une dernière indication. Si on a compris que le jeu doit inclure et seulement inclure les objectifs pédagogiques réfléchis en amont, alors il faut préciser que ce que je souhaite que les gens abordent ne doit pas seulement se trouver dans la solution de l’énigme. Mais également dans tout le mécanisme avant d’arriver à la solution.
Pour être plus claire, dans mon exemple d’objectif pédagogique de découverte des éléments d’une fusée, je vais faire en sorte que les joueurs manipulent ces éléments pour que les conséquences leur permettent de passer un agréable voyage sans encombre jusqu’à la Lune (par exemple, car pour l’instant on n’est pas vraiment allés plus loin apparemment). Une de mes énigmes pourrait être de maintenir le taux d’oxygène. Alors là mes joueurs vont devoir chercher le taux d’oxygène (on rappelle c’est 20%) ça va c’est facile et maintenant ils vont devoir manipuler un élément de contrôle pour maintenir l’oxygène. Voilà je suis contente mes joueurs ont appris des choses en résolvant une énigme. Ils ont appris que dans un voyage spatial il faut faire attention à ses réserves d’oxygène.
Maintenant je prends mon autre exemple : les notions historiques. Et bien là c’est pas du gâteau. La plupart du temps ce qu’on fait c’est que le mécanisme du jeu est autre. Souvent on se retrouve à construire des énigmes qui font très « escape game » comme la résolution de messages cachés ou de codes, mais qui n’ont rien à voir avec le sujet abordé. En fait on va retrouver le fameux sujet abordé dans un papier par exemple où sera caché le code.
Malheureusement ça ne fonctionne pas très bien, car dans l’urgence du temps (je rappelle que dans un escape game si on ne sort pas dans le temps imparti on décède tragiquement la plupart du temps), on ne prête pas attention aux supports, on cherche uniquement la solution (question de survie, le cerveau trie).
Pour ces cas d’objectifs particuliers, il y a des solutions. Et c’est là mon troisième conseil sur une des grosses erreurs à ne surtout pas faire dans un escape game pédagogique.
3/ Minimiser le rôle du maître du jeu
Dans un escape game pédagogique il est encore plus important. Car en fait le maître du jeu intervient dans les trois instants du jeu : avant, pendant, après. Mais en plus dans un escape game pédaogique, il devra faire attention à certains éléments de façon beaucoup plus approfondie.
Avant le jeu : faire grimper l’intérêt
Il suffit que l’escape game pédagogique soit moins bien construit ou que les énigmes ne soient pas à la hauteur de l’attente des joueurs, ou bien qu’il soit trop simple, ou encore tout un tas d’autres raisons pour que les joueurs s’ennuient ou bien à l’inverse se sentent frustrés.
Pour pallier à cela, le meilleur outil de l’escape game : le game master !
C’est lui qui accueille les gens, qui les mets dans l’ambiance et dans le thème (très important mais on n’est pas obligé d’avoir fait du théâtre pendant 20 ans non plus) et qui leur explique les consignes.
En petits points les étapes importantes du rôle du game master avant l’entrée de jeu :
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Introduire le thème : vous êtes dans une navette spatiale sur Mars, vous êtes la nouvelle équipe et vous serez là pendant quelques années, votre objectif : survivre et trouver comment la population terrienne pourrait venir habiter ici.
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Donner les consignes : bien communiquer, bien fouiller, ne pas hésiter à repasser derrière un camarade, ne pas forcer, etc.
Cette étape doit faire grimper l’intérêt des joueurs et leur donner une certaine excitation. Pour ce qui est de l’objectif à suivre et le temps imparti pour y arriver, soit le game master s’y colle avant l’entrée dans le jeu, soit un autre dispositif peut le faire directement dans le jeu (une vidéo qui se déclenche par exemple).
Pendant le jeu : maintenir l’intérêt
Le problème de l’escape game pédagogique c’est d’arriver à lier apprentissages et jeu. Si on ressent trop les apprentissages on perd l’intérêt du jeu. C’est encore là le rôle du game master. Il doit maintenir les joueurs dans le « flow », donc dans l’état où ils se trouvent quand ils sont complètement dedans, engagés dans le jeu, satisfaits et concentrés.
Là encore le game master doit se donner un rôle tout en se tenant relativement à l’écart des joueurs. Il peut s’inventer un personnage mais dans ce cas il faut faire attention à ce rôle qui peut être ambigu : pourquoi cette personne qui est censée m’aider refuse-t-elle de me donner toutes les informations ? Il doit plutôt se positionner comme aide de jeu, que l’on peut consulter ou qui va également pousser de temps en temps les joueurs vers la bonne direction. Mais ce rôle doit être clairement établi en début de jeu.
Donner les indices n’est d’ailleurs pas chose facile. Le game master doit éviter la frustration et donc que les joueurs passent trop de temps à chercher et finissent par se décourager. Tout en évitant aussi l’ennui, et donc donner les indices trop vite, ce qui fait perdre le côté du challenge si excitant propre aux escape game.
Après le jeu : l’escape game devient un outil pédagogique encore plus puissant
La plupart du temps dans un escape game uniquement ludique, le game master revient sur les différentes énigmes, montre les grandes réussites mais également les échecs cuisants qui ont coûté du temps. Dans un escape game pédagogique, son rôle après la partie va au-delà.
D’abord il y a le cas de l’opération sur Mars. Que les joueurs aient survécu (ou non), le game master revient sur les énigmes mais tente aussi une autre opération en même temps : ancrer les savoirs. Si les joueurs ont appris qu’il faut 20% d’oxygène dans l’air et que c’est un paramètre important à tenir compte dans un voyage spatial, il est bon que le game master en revenant sur l’énigme de l’oxygène repose quelques questions et rappelle ce que les joueurs devaient comprendre à ce moment-là. Il répète en somme mais pour mieux mémoriser.
Maintenant il y a le cas des notions historiques. Déjà qu’il était bien difficile de faire des énigmes totalement en rapport sans trop balancer de codes et autres qui n’ont rien à voir, voilà que le game master sauve l’escape game ! C’est là son moment de gloire. Il revient sur les énigmes et s’il voit qu’elles n’ont pas tout à fait fonctionné, il pourra en profiter pour aborder des notions que les joueurs n’ont peut-être pas vraiment vues dans le jeu comme il aurait été espéré.
Et là c’est double réussite. Car autant dans une conférence on s’ennuie, mais à la sortie d’un escape game, les nerfs de nos joueurs sont à vif et leur concentration au maximum ! Voilà qu’il est bien plus facile de replacer deux trois notions qui ont été survolées pendant le jeu. Attention à ne pas trop en placer évidemment, ni à parler de choses à côté de la plaque. Les joueurs veulent qu’on parle du jeu qu’ils viennent de faire ! A vous d’être subtil.
Et voilà pour ces quelques conseils, essentiels, pour réaliser un escape game pédagogique. Si vous en avez d’autres ou des expériences que vous avez vécues, écrivez-les dans les commentaires c’est important de partager !
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